Si vous avez passé vos weekends à pique-niquer aux Buttes-Chaumont… sachez qu’Anne Hidalgo a inauguré fin mars les berges rive droite.
A l’heure où les concours « Réinventer » nous invitent à « Réinventer la Seine », il est important de se questionner sur les enjeux de l’eau, du fleuve et de son importance fondamentale dans le développement urbain.
Il n’est pas question ici de refaire l’histoire de Paris ou encore l’histoire de la Seine mais plutôt de mettre en lumière les relations entre la ville et le fleuve en tenant compte des caractères particuliers de la ville. La Seine comme espace urbain « original », espace construit qui concilie deux approches : celle du fleuve dans la ville et celle des Parisiens sur le fleuve, à la jonction d’une histoire des formes, des usages et des représentations.
Par Christine Hoarau-Beauval
« Fluctuat Nec Mergitur » le bateau battu par les flots mais qui ne sombre pas… Paris, une ville qui s’édifie fièrement avec son fleuve.
Paris entretient une relation particulière avec son fleuve. La Seine est au milieu du XVIIIe siècle un « espace partagé » au cœur de la ville. C’est à la fois, le fleuve nourricier -près des deux tiers des consommations parisiennes transitent par les ports et la moitié d’une eau « rare et précieuse » y est puisée-, une voie de brassage de population importante, le site privilégié des démonstrations festives offertes par la Monarchie, le lieu de vie d’une population nombreuse de porteurs d’eau, blanchisseuses, meuniers, portefaix, pêcheurs, cuiseurs de tripes…, promeneurs ou commerçants attirés par la présence de la foule. Le fleuve détermine ainsi un monde urbain singulier associant à ses rives, ses quais, ses ports, ses grèves ou ses ponts recouverts de maisons, la ville entière.
Puis au fil du temps ce lien s’est distendu jusqu’à ce que la Seine devienne un monde à part, qu’elle perde son identité pour ne redevenir qu’un espace de circulation fluviale et automobile avec les voies sur berges.
Reconquérir la Seine…
Cependant depuis les années 2000, les initiatives sont nombreuses pour repartir à la conquête des berges. Bertrand Delanoë et Anne Hidalgo aujourd’hui en ont fait des arguments de campagne « rendre la Seine aux parisiens » fait désormais écho :
- L’automobile a peu à peu laissé place aux piétons sur les voies sur berges.Fini l’époque du tout automobile héritée des théories modernes des années 50’ et 60’, désormais le futur ne se conjugue plus avec la voiture.
- Chaque été, les franciliens se donnent désormais rendez-vous à « la Plage » (sur le bitume…) et se rappellent une histoire pas si lointaine de baignade et de pêche dans la Seine.Dans le cadre de la campagne pour les Jeux Olympiques de 2024, tout en confortant son positionnement résolument écologique, Anne Hidalgo a déclaré récemment à la radio : “ On pourra se baigner dans la Seine après 2024 […] Ce n’est pas une promesse, c’est vraiment un engagement. […] J’ai fixé cela, il y aura des épreuves de natation en eaux libres et de triathlon dans la Seine.” Une promesse qui fait immédiatement penser aux propos tenus par Jacques Chirac, à l’époque maire de Paris, dans son programme électoral de 1988 et qui s’engageait à se baigner lui-même dans le fleuve dans les cinq ans. On attend toujours Chirac en maillot de bain…
- Les transports en commun avec « Voguéo » le batobus parisien, un projet ambitieux avec trois lignes de transport : Vitry-sur-Seine / Invalides en 1h30 de trajet ; Tour Eiffel / Austerlitz en 1h ; Suresnes / Musée d’Orsay en 1h40. En tout : 31 escales pour 12 communes desservies. Bref, la Seine empruntée sur toute sa latitude des Hauts-de-Seine au Val-de-Marne. Après un essai lancé par le STIF entre 2008 et 2011, le bateau-bus parisien ne verra pas le jour, du moins pas sous cette forme faute de rentabilité.
- Et bien évidemment les ponts et passerelles. Pour rappel, on dénombre 37 ponts au-dessus de la Seine à Paris dont cinq accessibles uniquement aux piétons, deux sont des ponts ferroviaires et deux comportent un étage ferroviaire et un étage pour la circulation automobile. La fascination pour les ponts et leur romantisme n’est pas un épiphénomène ! Sachez que le Prix Grand public de l’architecture 2010 toutes catégories confondues a été remporté par la passerelle Simone- de-Beauvoir de l’architecte autrichien Dietmar Feichtinger livrée en 2006. Avec son look profilé, sa portée de 304 mètres et sa lentille en acier de 650 tonnes, elle a su séduire.
… Les nouveaux explorateurs
Le travail de réflexion sur l’insertion des objets architecturaux en milieu urbain évolue en fonction des époques et des techniques. Même si les procédés changent, architecture et ingénierie restent indissociables dans des projets d’envergure tels que les ponts et passerelles et ce à toutes les échelles.
Portrait de Daniel Vaniche, architecte et ingénieur.
Fondateur de DVVD, agence d’architecture et d’ingénierie, née en 2005, Daniel Vaniche conjugue avec brio les deux disciplines.
Quelle est votre approche créative et quelle part y tient le dessin ?
Etant à la fois ingénieur et architecte, pour notre agence la phase du dessin est souvent faite parallèlement aux différents modèles de calculs sur ordinateur. Néanmoins, ces deux étapes ont pour notre agence une importance équivalente et sont exécutées parallèlement pour accéder au projet final, c’est la particularité de notre agence.
La part du dessin varie en fonction du contexte du projet. Pour un projet de pont par exemple, on peut commencer par des choses extrêmement générales ; à savoir comprendre l’urbanisme, son fonctionnement, ses flux, ce qui peut prendre la forme de plans, de croquis, de schémas…
Les possibilités sont très vastes. Le dessin peut aussi permettre d’exprimer les attentes et les envies des différents acteurs impliqués : les contraintes du maître d’ouvrage, les attentes à prendre en compte de l’utilisateur final, sur une passerelle le piéton par exemple … On essaye de multiplier les formes de représentations puis on commence à dessiner un projet.
Un projet de pont c’est avant tout une réflexion sur le « franchissement », comment abordez-vous ce terme ?
Le franchissement peut avoir plusieurs sens, on le constate dans l’histoire des villes, il peut être une forme de « déclencheur », générer un changement, participer au désenclavement et au développement d’un quartier. Il peut par exemple signifier la « liaison », nous venons de livrer une passerelle à Moret-sur-Loing qui créée vraiment un lien entre deux villes qui jusque-là n’avaient pas d’autres moyens de communication que la voiture !
Les ponts sont des éléments de circulation à part entière, à Paris, ils sont considérés au même titre que les rues et s’insèrent parfaitement dans le maillage urbain.
On peut avoir des typologies et des approches très différentes, par exemple, si le pont à vocation de circulation et de désenclavement, la notion de signal y sera très importante, l’ouvrage sera donc plus gros et devra être remarquable. Plus que les points de vue que l’on peut chercher à mettre en avant, ce qui nous intéresse c’est plutôt l’image que le pont va donner dans le paysage. Est-ce que l’on cherche à magnifier le franchissement ou alors à l’effacer le plus possible ?
Dans un premier temps, l’identité du pont se définit par toutes ces notions et non pas par son esthétique. Nous sommes récemment intervenus à Ivry-sur-Seine, où il existait seulement trois ponts. Nous avons choisi d’y faire un pont suspendu qui montait haut dans le paysage afin que les gens sachent où passer. Dans d’autres cas, on a envie que ce soit très continu et doux pour que les gens n’aient pas l’impression de « grimper » sur un ouvrage, techniquement il faudra plutôt adopter un gabarit en-dessous à seulement six ou sept mètres du sol avec une inclinaison faible.
Lors de la construction d’éléments de franchissement sur un fleuve, quelles sont les contraintes et comment considérez-vous l’utilisateur final ?
Franchir un fleuve est toujours plus poétique que de franchir une autoroute, une rue ou un boulevard, la notion de promenade et de plaisir y est beaucoup plus forte même si le point fonctionnel subsiste.
Il y a souvent un lien plus fort au paysage avec des vues plus lointaines qui doivent être prises en compte dans le dessin qui est alors plus travaillé. Les gens l’empruntent aussi pour pouvoir observer le pont lui-même, le fleuve ou le paysage autour afin de voir la ville d’un point de vue différent. C’est pourquoi on réfléchit beaucoup aux ambiances à donner aux ponts ; on retrouve souvent certains « codes » des ponts de bateaux dans les finitions comme le bois au sol ou les mailles métalliques en garde-corps, toujours plus chaleureux pour les utilisateurs.
Quant aux bateaux, ils ajoutent du poétique certes, mais aussi des contraintes qu’il faut prendre en compte. Est-ce qu’on a le droit de mettre des piles (ndlr : piliers de soutien) dans le fleuve, quels sont les gabarits des bateaux en largeur et en hauteur… Les modèles de bateaux influent sur la construction des franchissements fluviaux, avec des ouvrages de plus en plus haut.
Si on prend l’exemple de la Seine, les ponts les plus récents sont démesurément plus grand que le Pont Neuf. Ces derniers sont construits en prévision de flux futurs plus importants, ce qui modifie considérablement le dessin des ouvrages.
Concernant les utilisateurs, il y a ceux qui passent sur le pont c’est pour tous une évidence, mais Il y a aussi ceux qui passent dessous ! Dès lors que l’on ne considère plus le pont comme un élément technique pur, mais comme un objet qui s’insère dans la ville avec une qualité architecturale, la sous-face a sa valeur puisqu’elle est vue et parcourue et doit donc être travaillée. Toujours à Paris où beaucoup de circulation se fait sous les ponts, prenons le pont Alexandre III, la sous-face est très belle, idem pour la Passerelle Solférino, projet dans lequel j’ai été impliqué, et pour laquelle le travail de la sous-face a été très important.
Mais il faut aussi prendre en compte les questions de sécurité, de signalisation et de solidité qui sont extrêmement importantes et dont on n’imagine pas l’ampleur. Un choc de bateau sur un pont représente une énergie incroyable à laquelle les ingénieurs et architectes doivent pallier. Un pont sur un fleuve en crue ne doit pas constituer un barrage au passage de l’eau, ce qui représente des calculs complexes. C’est pourquoi les transparences visuelles et hydrauliques sont tout aussi importantes.
Comment choisissez-vous vos matériaux, avez-vous des matériaux de « prédilection », certains sont-ils plus ou moins adaptés ?
Les deux grands matériaux utilisés pour les ponts sont l’acier et le béton. Parfois on innove, mais la construction d’un pont entièrement fait de carbone pose des problématiques budgétaires qui ne nous permettent pas aujourd’hui d’y arriver. On peut exprimer des choses extrêmement différentes avec ces deux matériaux. Le métal peut exprimer une grande légèreté, notre passerelle d’Ivry est très organique à l’image d’un squelette, les riverains l’ont même comparé au squelette d’une baleine. Le béton quant à lui permet de monter très haut dans le paysage et d’obtenir des choses très remarquables dans des formes également très étirées et organiques, mais plus d’un point de vue plastique.
Néanmoins, on ne part jamais de l’envie d’utiliser un matériau, le choix se définit davantage en fonction de la technique du chantier ou des questions de pérennité.
Les matériaux de finitions peuvent être choisis en fonction d’envies, de besoins comme les ambiances de pont de bateau, mais les matériaux de l’ouvrage pur sont sélectionnés en fonction des portés à franchir et de la maintenance de l’ouvrage. Par exemple, une structure en bois au-dessus d’une cour d’eau posera de plus grandes difficultés. Le béton quant à lui peut apporter une richesse formelle intéressante et n’a pas besoin d’être remis en état profondément, mais va poser des problématiques de poids de l’ouvrage. C’est le dessin et la technique qui modifie l’ouvrage plutôt que le matériel.
Le type de portée mais également le chantier de construction entre en compte. Lorsqu’on installe un pont, on doit souvent couper la circulation fluviale, cette question entrent en compte dans les contraintes matérielles et techniques. Quels outils est-ce que je peux installer et utiliser sur les berges ? Est-ce que le pont va être installé en une ou plusieurs fois, vais-je lever ou pousser les pièces à assembler ?
On parlait de lien entre l’architecture et l’ingénierie, ces données entrent en compte dans la construction et l’image final du pont. Sur l’un de nos derniers projets, nous avons repensé certains points en amont car nous n’avions que trois heures pour installer le pont, et le poids des grues était trop important. On a donc modifié la forme qui a allégé l’ouvrage qui a pu être levé. Ce qui implique aussi les finitions, pour certains ouvrage, l’ensemble des finitions doivent être levées en même temps que la structure, car on n’a pas l’autorisation de poser les boulons au-dessus du fleuve ou du périphérique.
Avez-vous un projet préféré, que vous estimez le plus réussi ou abouti ?
Non, car je les aime tous pour des raisons très différentes. La passerelle d’Evry est très agréable et organique, nous avons pris beaucoup de plaisir à la dessiner. Plus récemment, nous avons livré une passerelle au-dessus du périphérique à Paris sur laquelle nous avons mélangé le bois et l’acier avec beaucoup de bois sur les habillages latéraux, le rendu est très harmonieux.
Légendes images :
- Les voies sur berges aménagées pour les piétons. DR
- Les embarras de Paris – DR.
- Construction des voies sur berges. © Pavillon de l’Arsenal
- Baignade dans la Seine en 1923. © BNF
- Installation de Paris Plage de nuit © Ville de Paris-DVD
- Le Pont Mirabeau. DR
- Elévation de la passerelle d’Evry. © DVVD
- La passerelle d’Evry, vue de haut. © DVVD
- La passerelle d’Evry, vue de nuit. © DVVD
- Pont en béton – principe de la précontrainte. DR
- Passerelle Léopold-Sédar-Senghor © Marc Mimram
Plus de conférences disponibles http://www.culture-sens.fr/mot-cle/christine-hoarau-beauval