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@Christine Hoarau-Beauval – dossier publié dans In Interiors, magazine de Business Immo, le 20 juillet 2020. Dossier complet disponible en cliquant ICI.
Après 55 jours de confinement, le défi de la réappropriation du « dehors » dans le respect des règles de « distanciation physique1 » est de taille. À Paris, comme dans la plupart des grandes métropoles, la taille des trottoirs (<1,5 m en moyenne en France) et l’encombrement de l’espace public par tout un tas de dispositifs (bornes, potelets, arceaux, boîtiers électriques, véhicules, etc.) ne permettent pas la reprise sereine de la vie sociale en extérieur. Car loin de n’être que des espaces utilitaires, la rue, le passage, la place, le parvis, le trottoir, tout ce qui se passe entre les bâtiments… sont avant tout des lieux de partage, de rencontre, de convivialité, de contemplation (dont le confinement nous a fait expérimenter la privation). Alors afin d’évi- ter que notre moral ne défaille durablement, comment restituer massivement de l’espace public « capable », susceptible d’être un lieu d’échanges et de reprise de l’activité économique de proximité ?
Pour apporter des éclairages pertinents, il s’agit avant tout de revenir sur la notion d’aménité. «Aménité» – du latin amoenitas («charme») – signifie à la fois l’amabilité et la douceur dans l’attitude de quelqu’un et, pour un lieu, son agrément. Au-delà de l’étymologie, ce terme porte un ensemble de valeurs matérielles (ressources, espaces) et immatérielles (culture, traditions locales) attachées à nos territoires, et qui «marquent» leur attractivité et leur capacité à créer des liens, à favoriser la justice sociale et l’intégration culturelle.
« Penser ambiance, par-delà l’environnement7 »
En ville dense, les acteurs publics, privés et les citadins partagent la gouvernance collective de ces espaces partagés. L’arbitrage a longtemps semblé se faire à la défaveur du citoyen, mais ce rapport semble s’équilibrer en faveur d’une réappro- priation citoyenne. Des exemples sont observables à différents niveaux d’implication et au profit de nouveaux outils.
La mairie de Paris a fait de l’application « Dans ma rue », lancée en 2013, l’un des instruments phares de sa politique de gestion de proximité. Les Parisiens peuvent signaler via leur smartphone ou sur le site web, les « anomalies » repérées sur la voie publique : graffiti, déchets, rats, crottes de chiens ou objets abandonnés… À charge pour les agents municipaux d’intervenir ensuite sur le terrain. Et la démarche semble faire ses preuves8, d’autres villes comme Baltimore, ou Los Angeles (États-Unis) auraient manifesté leur intérêt pour cet outil numérique.
Mais l’actualité a révélé à tous que les enjeux du «rez-de- ville», vont bien au-delà de ces problématiques sanitaires de quartier. Il s’agit également de préserver et maintenir la diversité économique à l’échelle de la rue.
À Milan, la ville a piétonnisé certaines rues et accordé une gratuité de six mois sur les places de stationnement pour que celles-ci soient transformées en terrasses de res- taurants. Dans la foulée, les architectes se sont mobilisés pour repenser des dispositifs de terrasse facile à monter, et imaginer du mobilier. En France, le collectif Design for CollectiVe9 cherche à acclimater le modèle pour permettre aux cafés-restaurants de rouvrir dans le respect des règles du vivre ensemble et sauver ce tissu économique fragilisé. L’art urbain, par le lien qu’il crée entre l’architecture, le paysage, et le design permet également de consolider les compositions urbaines et leur confère une identité. Dans la culture anglo-saxonne, Design urbain et urbanisme ne sont pas une seule et même discipline. L’espace public y est considéré comme un espace défini à aménager et non pas un espace «ouvert» sans destination. Y sont alors agencés des dispositifs de diverses natures : esthétiques (visuels, sonores, olfactifs), d’usage (mobilier urbain, harmonisation des terrasses, etc.) et parfois hybrides, complétés par une pro- grammation, mais toujours avec l’idée de faciliter l’interaction entre le milieu et le piéton (habitant, promeneur, touriste). C’est dans cet esprit d’amélioration du «design des usages ordinaires» que Paris La Défense expérimente depuis 2012 de nouveaux mobiliers à travers la biennale Forme publique. C’est un événement, tout autant qu’une occa- sion de faire évoluer l’offre de mobilier urbain au gré des nouvelles attentes des usagers de la dalle (voir encadré).
4- https://www.lepoint.fr/sante/comment-la-nature-fait-du-bien-a-notre-sante- mentale-29-07-2015-1953183_40.php
5- Norberg-Schulz rapproche la « prise existentielle » du concept d’« habiter » élaboré par Heidegger, dans le sens où « l’homme habite lorsqu’il réussit à s’orienter dans un milieu et à s’identifier à lui ou, plus simplement, lorsqu’il expérimente la signification d’un milieu ». Habiter un lieu signifie donc s’y orienter et s’y identifier.
6- Comme le disait Aristote, nous sommes une espèce sociale. Des découvertes récentes montrent que notre cerveau comporte des neurones miroirs qui nous permettent spontanément d’entrer en empathie avec d’autres. Cette empathie nous nourrit, elle génère un confort, une appartenance, élargit le corps social au vivant. En tant qu’individu, nous sommes un écosystème intégré dans un écosystème plus large. 7- « Penser ambiance, par-delà l’environnement, c’est s’autoriser aussi une approche humaine, émotionnelle et positive des sons, des lumières, des odeurs et des autres combinaisons sensibles offertes d’emblée à tous les créateurs d’espaces comme à l’attention, à la curiosité, ou à l’imaginaire des citadins ordinaires. » Pascal Amphoux, Ambiances en débats, Éditions « À la croisée », 1996.8- En 2018, la ville a recensé plus de 25 000 demandes par mois dont 83 % traitées en 48 h. 9- Collectif porté par l’agence Atelier Fois, des citoyens, des architectes et des journalistes (Lionel Blaisse, Christine Hoarau-Beauval, Philippe Trétiack…).