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@Christine Hoarau-Beauval – article publié en décembre 2017 dans Objectif Grand Paris.
Effets d’annonce, viralité, recherche d’innovation… En ce millénaire 2.0 ou tout va très vite, la ville telle qu’on l’envisage aujourd’hui pourrait bien être déjà obsolète au regard des usages de demain.
« Réinventer… » Paris, la Seine, « les sous-sols » et dernièrement « Inventer la Métropole ». Depuis quelques années déjà, la machine de la communication tourne à plein régime quand il s’agit de fabriquer la ville de demain. Dans ce processus, il est tentant d’ignorer une histoire qui existe déjà. Prendre le temps d’analyser les expériences du passé serait pourtant essentiel.
De fait, souvent par manque de connaissance ou faute de consacrer assez de temps à ce retour sur le passé, des pans entiers de l’histoire des précédentes initiatives de rénovation urbaines du 20esiècle, sont ignorés[1]. Ils offriraient pourtant des bases de réflexion solides pour envisager l’avenir de la métropole.
Sortons des clichés pour aller observer en détail des modèles comme le Front de Seine, Bercy et son Front de parc, Bobigny, et la façon dont les usagers se sont appropriés ces quartiers…
Il est tout à fait possible de jeter un regard neuf sur l’ensemble de cet héritage et pas seulement sur l’œuvre de Le Corbusier.
Dans les années 1950-1970, la relation entre le politique et le monde de la construction était presque intime –parfois sûrement trop-, et les réflexions s’inspiraient des concepts de « modernité » définis au 20esiècle. A ce moment-là, la mutualisation des compétences a été favorisée par la création d’outils comme les SEM et a permis de mettre en œuvre des projets à l’ambition sans précédent. Comme le disait Michel Holley, architecte du Secteur Italie XIII également en charge de l’avant-projet Front-de-Seine, dans le 15èmearrondissement parisien : « c’était la grande aventure, nous dialoguions à bâton rompu, tout semblait possible ».
Aujourd’hui, cette « modernité » a laissé place à « l’innovation » et les concours à effets d’annonceportent aux nues ce que l’on pense être une nouvelle forme de dialogue. En réalité, il n’y a rien là de très neuf : il serait même plus juste de parler d’un rétablissement du dialogue entre le politique, les promoteurs/investisseurs et les architectes, urbanistes, ingénieurs et paysagistes.
L’étude des usages, plutôt que les effets d’annonce
La nouveauté est bien davantage à chercher dans le soin apporté à établir des liens avec les initiatives locales et à impliquer l’usager. Cette question de l’usager est au cœur de la fabrique de la métropole et s’envisage au passé, au présent et au futur.
Le constat fait aujourd’hui est celui de la diversité des attentes des usagers de ce vaste territoire en termes de logement, de confort, de sécurité, d’emploi, d’accessibilité, de mobilité… Nous savons moins, pourtant, mener à bien une véritable « maitrise d’usages », c’est-à-dire concilier l’existant, tout en anticipant sur les nouveaux usages et en créant ainsi une offre adéquate.
En 2013, le Centquatre présentait l’exposition « Habiter le Grand Paris ». Celle-ci déroulait des scénarios[2]de rééquilibrage de l’habitat et des emplois sur le territoire du Grand Paris. Le logement y était présenté comme l’outil essentiel du développement urbain et de l’égalité des territoires. Une analyse intéressante, et propre à nourrir le débat.
Les architectes du 21esiècle, pour faciliter l’adaptation des constructions aux usages, proposent des bâtiments de plus en plus flexibles, en travaillant « avec le contexte » et en montant des équipes pluridisciplinaires. Là encore, pour aller plus loin dans l’analyse, il faudrait examiner les évolutions des modèles existants depuis le siècle dernier et ne pas oublier que ceux-ci ont également des réponses à nous apporter.
Depuis avril 2017, des conférences sont organisées, par La Maison de l’Architecture en Île-de-France et la Société du Grand Paris, avec les architectes des gares du Grand Paris Express, afin d’expliciter le volet « mobilité » de la métropole et son impact sur les territoires environnants. Philippe Yvin, Président du directoire de la Société du Grand Paris, déclarait lors de la conférence du 5 avril : « De nouveaux quartiers vont naître grâce à ce nouveau réseau (…) créateur de nouvelles places (…), initiateur de nouvelles extensions » Quelques questions demeurent : Comment articuler ces territoires tous différents et dont les usagers ont des attentes différentes ? Que se passera-t-il autour ? »
Comment en outre assurer la continuité de l’espace public pour éviter l’opposition entre « les centres » et le reste, « les espaces ordinaires » ?
Eviter de laisser les territoires aux seuls investisseurs
Malgré ces efforts de réflexion et d’analyse, le sens du développement du Grand Paris est aujourd’hui encore flou. L’épaisseur de la communication cache des faiblesses. Le grand projet de mobilité ne peut pas à lui seul constituer une « colonne vertébrale » pour un projet de développement entre « banlieues ». La sélection de sites du concours « Inventer la Métropole » ne permet pas davantage de se projeter sur un ensemble cohérent. Il faut une volonté politique solide, des moyens conséquents, et… éviter de laisser les territoires aux seuls investisseurs.
Sur ces deux sujets, des alertes ont déjà été lancées. En 2015, Jean-Pierre Gonguet publie dans La Tribune : « Jones Lang Lassalle, le leader mondial en conseil immobilier « vend » le Grand Paris aux investisseurs étrangers avec des études prospectives extrêmement détaillées».
Paul Chemetov, lors d’une conférence en février dernier, prend des accents de lanceur d’alerte :« Quel va être le sens de ce développement ? Va-t-on faire de cette périphérie enfin une chose meilleure, équipée, qui s’appelle Paris et qui est grande, ou en faire une succession d’opérations champignons menées par des investisseurs ? »
Il est important de rester vigilants, de respecter les temporalités longues de mise en œuvre de la ville, afin de créer un environnement pérenne pour le Grand Paris.
© Christine Hoarau-Beauval
[1]Le métro du Grand Paris trouve ses sources il y a 50 ans, dans des projets comme le livre blanc de Michel Rocard (1988), dont les principes ont été repris aujourd’hui.
[2]Scénarios issus des études remises fin mars 2013 à l’AIGP.