Logement : le choc des usages !

#Journalisme

@Christine Hoarau-Beauval – dossier publié dans In Interiors, magazine de Business Immo, le 12 décembre 2019.

Dossier complet disponible en cliquant ICI.

Le logement, entre affaire privé et espace de construction sociale.

Avec un CA potentiel de 26 à 40 milliards d’euros, les enjeux de la rénovation de logement sont colossaux. Mais bien loin de ne se réduire qu’à sa forme matérielle, un bien qu’on acquiert, qu’on loue ou dorénavant qu’on échange, le logement se construit également de rapports sociaux, de normes, d’usages, et devient le réceptacle de nos désirs complexes. L’actualité du jeu entre acteurs politiques, « fabricants » de la ville et habitants de toutes générations, témoigne des nécessaires évolutions dans notre façon d’envisager nos modes d’habiter. Observer un bâtiment existant, en concevoir un nouveau, c’est se poser la question de la « matière » de notre histoire urbaine. Question majeure de ces deux derniers siècles, ces bâtiments qu’ils soient immeubles d’habitation, maison individuelle, tour, barre… sont autant de témoins d’une actualité socio-politique, des progrès techniques de construction et des évolutions de la règlementation. 

1 – Le logement, expression de son temps.

Au début du XXe siècle, le cadre de la production architecturale se modifie pour répondre aux nouvelles valeurs de confort, de bonheur familial, de savoir-vivre et d’intimité, de la société française. Les architectes répondent à une demande d’habitat complexe pour loger des familles, des célibataires, des ouvriers ou des employés, en proposant des dispositifs et des techniques inédits. L’organisation et la distribution des appartements changent, les surfaces se réduisent et s’ouvrent avec une prédominance du salon, et l’intégration des dernières innovations de réseaux : eau, électricité, gaz et téléphone. La réglementation s’adosse peu à peu aux principes hygiénistes[1] d’ordre et de salubrité. En façade le style est de plus en plus épuré pour laisser place à la réalité constructive exprimée par les matériaux et la structure. Partout en France, la domesticité dite « moderne » se diffuse à travers les revues, la multiplication des concours, et les salons des Arts Ménagers.

Ce questionnement sur le logement comme « matière de la ville »[2], sur ce qui provoque l’envie d’y vivre et d’y rester, se diffuse depuis lors en s’appuyant sur l’idée que le bâtiment ne peut se réduire à une interface entre l’espace intime et l’espace public. Il doit participer à la production d’un cadre de vie de qualité, favorable au plaisir d’habiter.

Mais ne nous y trompons pas, bien que les enjeux de transformation actuels tournent notre regard vers la société et l’individu, ces derniers ne peuvent s’opérer que dans un couplage étroit avec le territoire et le contexte politique, social et économique. 

Les années de la reconstruction plongent l’Europe dans une urgence qui met le logement collectif au cœur de la fabrique de la ville moderne. Ce que dénonce l’abbé Pierre en 1954 c’est l’état catastrophique des immeubles dégradés, et le nombre croissant de « mal logés »[3]. L’échelle des projets alors mis en œuvre est inédite : barres, tours, espaces verts et grands équipements sont à l’ordre du jour des planificateurs urbains pour répondre à un besoin de production de masse. Le domaine de la construction s’industrialise, le béton matériau du progrès est partout et permet de construire vite. Les trames structurelles (systématisation des murs de refends porteurs) déterminent des dimensions de pièces standards qui ne seront remises en cause que récemment par l’incidence des règlementations handicapés. Tout le monde veut sa cuisine, sa salle de bain, son salon, ses chambres. Mais cette monotonie, rapidement qualifiée d’obsolète et dénoncée dans les années 1970 – avec notamment un retour à la promotion de l’habitat individuel, a fini par produire un type de logement français caractéristique. « Un logement pour une famille avec enfants en bas âge, où la partie publique (jour) et la partie privée (nuit) sont dissociées »[4], une définition du Ministère du logement en 2010 !

2 – Architecture = durable. 

Le logement c’est 80% de la production architecturale. La pratique des concepteurs doit sans cesse s’adapter aux nouveaux modes de vie, aux évolutions technologiques (High Tech dans les années 1980’, domotique, Li-Fi, Impression 3D[5], BIM…) et désormais aux enjeux environnementaux planétaires. Plus que le respect d’un label, d’une norme ou d’une performance énergétique, ce sont aussi les convictions[6] d’équipes pluridisciplinaires du promoteur au collectif citoyen, qui ont permis ces vingt dernières années, des évolutions déjà visibles à toutes les échelles. Ainsi Whyarchitecture livre à Bordeaux en 2017, 20 logements en façade structure bois avec bilan carbone positif ; tandis que l’équipe « Réinventons la Terre »[7], transforme une ancienne manufacture de 58.000m2 à Ivry, en village en terre crue et ossatures béton-bois, dans un système d’économie circulaire.

© Cycle Terre http://www.grandparisamenagement.fr/cycle-terre-demonstrateur-industriel-pour-la-ville-durable/

Le logement n’est plus une entité isolée. En ville, habitat et bureaux, espaces tertiaires et lieux de production, équipements publics et équipements privés, se mélangent dans tous les projets urbains. L’idéal de la maison individuelle, hérité des années 1960’, encore très présent dans l’imaginaire collectif français, est également remis en cause. Eloignés des centres, des commerces et des équipements, les lotissements, dont la desserte ne peut s’effectuer que par l’automobile, sont des consommateurs d’infrastructures, d’espaces naturels, d’énergies et de ressources. 

« Bâtir durable » devient au 21e siècle synonyme de flexibilité, de mixité, d’alternatives constructives, de biodiversité, de densification, de mobilité… mais aussi d’engagement politique, et économique pour financer ces nouveaux modes de faire.

3 – De la maitrise d’ouvrage – à la maitrise d’usage.

Encadré juridiquement par la loi Alur depuis 2014, l’intégration de l’habitat participatif dans des projets d’aménagement témoigne de la prise de conscience en France d’un « vivre autrement » porté par des valeurs écologiques, économiques et solidaires. Allemagne, Suisse, et Norvège sont déjà pionnières dans ce domaine[8]. A Tübingen (All.), plus de 80 % des logements neufs sont construits en habitat participatif. Loin de se résumer à des préceptes liés à la gestion des déchets, à la modération des consommations… ce sont avant tout des lieux pour réapprendre le partage et le vivre ensemble : à Bruxelles, les habitants de Brutopia partagent une voiture et ont créé un parking de 80 places pour les vélos ; à Montpellier, les chambres d’amis du MasCobado sont des espaces communs que l’on « privatise » au gré des visites. Ces nouveaux modèles bouleversent la typologie classique en inversant la chronologie du projet. De fait, le rôle des acteurs de l’immobilier évolue également : comment bâtir des projets sur-mesure et sécurisés ? 

We live à NYC par We Work.

Le gestionnaire d’actifs La Française envisage par exemple de se positionner à long-terme comme investisseur et gestionnaire de parties communes. Moyennant des tantièmes dans les copropriétés, valorisables à termes, une telle offre laisse imaginer le développement de généreuses parties communes et autres espaces mutualisés, diminuant d’autant l’impact sur le prix des logements, et sur les charges d’exploitation et d’entretien. 

Dans le parc locatif, la colocation –depuis les années 1990– et récemment le coliving[9] se sont répandus. C’est pour beaucoup, le seul moyen de se loger correctement dans de grandes villes de plus en plus chères. Effet de mode ? La tendance, qui se confirme depuis maintenant 20 ans, témoigne d’un changement de mœurs : mutualiser n’est plus l’apanage des jeunes, c’est aussi un moyen de recréer du lien social, et d’échapper à l’aliénation spatio-temporelle des villes contemporaines. 

FOCUS : De la théorie à la pratique, nos « Starchitectes » sont avant tout les penseurs de nos espaces habitables.

Théorie de l’îlot ouvert
Christian de Portzamparc architecte.

Après la table rase de la politique des Grands Ensembles, de jeunes architectes vont s’affirmer comme défenseurs d’une ville à échelle humaine. Ces idées manifestes, basées sur la nécessaire composition architecturale avec l’héritage de la ville existante, sont portées par des architectes alors en devenir comme Christian de Portzamparc, Jean Nouvel, Renzo Piano etc… Aujourd’hui « starifiés », leur image publique a avec le temps occulté la portée des discours qu’ils ont initié pour faire avancer la conception du logement. En 1979, Les Hautes Formes[10], 200 logements répartis en huit petits immeubles liés en un seul bloc, consacre le principe de l’îlot ouvert qui sera repris dans les années 1990 à Paris-Rive-Gauche. En 1987, Nemausus, offre une palette de 17 typologies d’appartement de 50 à 170 m2 à coût égal à ses usagers, une superficie supérieure de 30% à celle des HLM ordinaires de l’époque. Selon Jean Nouvel, auréolé du prestigieux prix Pritzker en 2008 : « un beau logement, c’est un grand logement ; une belle pièce, c’est une grande pièce. » Dix ans plus tard, c’est l’architecte indien Balkrishna Vithaldas Doshi, concepteur de logements modifiables et respectant l’environnement, qui en est lauréat. La tendance se confirme.


[1] « L’aération des immeubles est calculée, voire dessinée sur les projets. Le cubage d’aire des pièces et l’orientation solaire au pouvoir soi-disant microbicide sont étudiés et maîtrisés ». Monique Eleb.

[2] Seraji Nasrine, Logement, matière de nos villes, Picard, 2007.

[3] A Paris, la population évolue de 600.000 habitants à la fin du XIXe siècle, à près de 3 millions à la veille de la seconde guerre mondiale. En 1954, il y avait 54% de mal-logés, aujourd’hui ce chiffre est passé à 11% essentiellement en raison de la diminution du nombre de logements insalubres.

[4] Définition donnée par un site du ministère du logement en 2010 dans le cadre de la loi ENL (Engagement national pour le logement).

[5] Yhnova, est le premier logement social fabriqué grâce à l’impression 3D. Inaugurée en juin 2018, c’est une maison de 95 m² comportant cinq pièces, située à Nantes. Elle a été conçue grâce à une technologie appelée Bâtiprint3D développée par des équipes de l’université de Nantes (LS2N, GeM), « Le robot, littéralement, devient le prolongement de la main de l’architecte ! ». Source : Vincent Gloux, étudiant ingénieur, 2018.

[6] Voir focus Starchitectes.

[7] Appel à projets « Réinventer la Seine » / Maîtrise d’ouvrage : Quartus – CPA CPS – Habitat et humanisme / Architecte coordonnateur : Joly & Loiret. Livraison : 2026.

[8]  En Suisse, on estime à 5 % le parc immobilier construit sur ce mode, soit 130 000 logements. En Norvège, les chiffres tournent autour de 15 % du parc, dont 40 % à Oslo. Source : Ministère de la Cohésion des territoires, 2019.

[9]  Voir Focus Focus Coliving.

[10] Par Christian de Portzamparc pour la RIVP, dans le cadre du Programme Architecture Nouvelle (PAN) du Plan Construction.

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